Les mystérieux crabes fantômes
À la tombée de la nuit, les plages de Tetiaroa s’animent d’une mystérieuse agitation. De petites silhouettes pâles surgissent du sable, filant à toute allure avant de disparaître dans leurs terriers.
Ce ne sont pas des spectres, mais bien les ʻŌhiti, les crabes fantômes de Tetiaroa, parmi les habitants les plus rapides et les plus discrets de l’atoll.
Deux espèces cohabitent sur l’atoll :
Invisible le jour, vif et insaisissable la nuit, l’ʻŌhiti porte bien son nom. Son allure spectrale, sa vitesse impressionnante et sa capacité à se fondre parfaitement dans le sable en font le véritable fantôme bienveillant des plages de Tetiaroa.
Un petit crustacé taillé pour la vitesse et le camouflage
Appartenant à la famille des Ocypodidae, le crabe fantôme possède une carapace presque carrée et légèrement bombée, recouverte de fines granulations et marquée de rainures formant parfois un dessin en « H » sur le dessus.
Chez le crabe fantôme à cornes, ses yeux portés par de longs pédoncules, surmontés de petites “cornes” ne sont portés que par le mâle adulte, lui permettant de voir à 360° et de repérer le moindre mouvement autour de lui. La femelle quant à elle a parfois une excroissance sur les yeux mais jamais de longues cornes comme les mâles.
Sa couleur sable, variant du beige clair au brun chocolat, parfois teintée de reflets verts ou violets, lui assure un camouflage parfait sur les plages coralliennes.
Male and female ghost crabs can also be told apart by the shape of their abdomen: males have a narrow, pointed abdominal flap, while females have a broader, rounded one. Females carry their eggs beneath this flap until they are ready to hatch.
Avec ses quatre paires de pattes fines terminées en pointes, l’ʻŌhiti peut courir jusqu’à 2,1 mètres par seconde, changeant de direction instantanément pour se fondre à nouveau dans le sable.
Les crabes fantômes mâles et femelles peuvent aussi être distingués par la forme de leur abdomen : les mâles possèdent un repli abdominal étroit et pointu, tandis que celui des femelles est plus large et arrondi. Les femelles portent leurs œufs sous ce repli jusqu’à ce qu’ils soient prêts à éclore.
Les architectes du sable
Les petits trous visibles un peu partout sur les plages de Tetiaroa sont les entrées des terriers de ces crabes fantômes. Ces galeries, creusées parfois à plus d’un mètre de profondeur, leur offrent refuge et fraîcheur durant les heures chaudes de la journée.
À la tombée du jour, ils en sortent pour explorer, se nourrir et défendre leur territoire. On peut parfois les observer en train de façonner et rejeter de petites boules de sable autour de leur abri, avant de disparaître en un éclair au moindre pas trop proche.
Cette vigilance extrême rend leur observation difficile, ce qui explique pourquoi on sait encore peu de choses sur leur mode de vie.
Lorsque les œufs sont prêts, les femelles se dirigent vers le bord de l’océan à la faveur de la nuit et secouent leur corps pour libérer les larves dans les vagues. Ces minuscules larves dérivent ensuite au large pendant deux à trois mois avant de revenir sur le rivage sous forme de jeunes crabes, prêts à commencer leur vie terrestre.
Un fantôme… qui a besoin d’eau pour respirer
Bien qu’ils vivent hors de l’eau, les ʻŌhiti dépendent encore du milieu marin : leurs branchies doivent rester humidespour leur permettre de respirer. Ils retournent donc régulièrement au bord du lagon pour se réhydrater, surtout la nuit ou à marée haute.
Cependant, les crabes fantômes n’ont pas toujours besoin d’aller jusqu’à l’océan pour rester hydratés : ils peuvent absorber l’eau directement à partir du sable humide grâce à de fines soies (appelées setae) situées sous leur corps. Ces poils spécialisés sont visibles sur certaines photos en gros plan où le crabe est tenu à l’envers.
Un crabe qui chante !
Sur la face intérieure de sa plus grosse pince, de petites stries lui permettent de produire un son en la frottant contre l’autre pince : c’est la stridulation. Ce grincement sec sert à communiquer avec d’autres individus, intimider ses rivaux ou défendre son terrier. Une manière bien à lui de faire savoir qu’il n’est pas qu’un fantôme silencieux…
Si vous avez activé le son, vous avez écouté le « crabe chantant » tout en lisant ceci.
Le nettoyeur des plages
Omnivore et nocturne, l’ʻŌhiti se nourrit de débris organiques, de végétaux et de petites charognes, participant ainsi au nettoyage naturel du littoral.
Son activité contribue à la bonne santé écologique des plages, en recyclant les matières organiques et en aérant le sable. Très sensible à la présence humaine, il préfère les zones calmes et préservées, ce qui fait de lui un excellent bioindicateur : sa présence témoigne de la qualité environnementale exceptionnelle des plages de Tetiaroa.
Sous la lumière de la lune, le crabe fantôme semble danser entre les vagues et le sable, rappelant que même les plus petits habitants de l’atoll jouent un rôle essentiel dans l’équilibre fragile de cet écosystème.
À Tetiaroa, les fantômes ne font pas peur : ils protègent les rivages.
Photos and information: © Simon Ducatez & Jayna DeVore, UMR SECOPOL